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Fermer tous les établissements recevant du public « non essentiels » sans discernement n’est plus tenable. Maintenir ouverts ou fermer administrativement, sauver des vies ou sauver des emplois ne peuvent dès lors plus être les seules alternatives. Le temps est donc venu de redonner aux acteurs de terrain les moyens de s’organiser pour rouvrir dans de bonnes conditions sanitaires. La réouverture des établissements « non essentiels » est inéluctable.
Tout ça, pour ça ?
En effet, face à la menace de fermetures pour confinement, ces entreprises ont déjà fait de nombreux efforts pour adapter l’accueil de leur public et de leurs salariés. Depuis le mois de mars, beaucoup de ces établissements ont mis en place des protocoles sanitaires, formé leurs équipes, renforcé leurs procédures de nettoyage, et tout ça pour quel résultat ? Ces entreprises se sont vues contraintes de fermer quand même.
Il n’est pas ici question de condamner des décisions politiques éminemment difficiles. On ne rentrera pas non plus dans la discussion sur le rôle économique, et éminemment social de ces établissements « non essentiels ». Notre questionnement porte sur les conditions d’une réouverture de toute façon inéluctable demain, mais surtout après-demain. En effet, si cette crise se poursuit et repart, ou qu’une nouvelle arrive, n’aura-t-on comme seule alternative que le « tout ouvert » ou « tout fermé » ? Est-ce le seul modèle pour la gestion des crises sanitaires ?
Lignes de fracture
Plus le temps passe et plus cette position semble intenable. On commence d’ailleurs à voir poindre une fracturation de ce raisonnement. Les lieux de culte rouvrent. Qu’est-ce que cela dit ? Que permettre aux gens de se réunir autour d’une spiritualité est essentiel aussi. Noël se fêtera en famille. Les fêtes clandestines se multiplient. Les salles de sports accueillent des sportifs sur prescription médicale. La fermeture des autres établissements ne tiendra maintenant plus longtemps et la réouverture des établissements « non essentiels » semble maintenant inéluctable
Il y a bien eu une tentative, pendant quelques semaines, de décentraliser « géographiquement » les décisions d’ouverture et de fermeture des lieux accueillant du public. Mais cela aura été de courte durée. Et le retour à des décisions prises au plus haut de l’état sont redevenues la règle. Alors quel modèle pouvons-nous proposer pour permettre cette réouverture à court terme et pour de bon de ces établissements recevant du public ?
Responsabiliser les organisations sectorielles
Nous faisons le constat que la quasi-totalité des organisations représentants les différentes branches professionnelles ont travaillé sur des mesures d’accompagnement des établissements qu’elles représentent. Nous le savons parce que nous en avons-nous-mêmes accompagnées et proposé des protocoles sanitaires spécialisés pour certaines branches professionnelles. Est-ce parfait ? Non, mais c’est réaliste. En repartant des particularités de fonctionnement de ces entreprises, ces organismes ont décliné des mesures de prévention des risques adaptées à leur fonctionnement.
Décentraliser les décisions
Dans cette approche, le rôle des ministères pourrait aussi être différent. Ils pourraient proposer un cadre minimum, comme le protocole national de déconfinement. Et on laisserait à la charge des organismes représentant les différentes branches de définir les mesures spécifiques à leur secteur. Les ministères pourraient alors exercer un rôle de validation et de contrôle des dispositifs proposés. Ce serait plus rapide et plus adapté aux contraintes de chaque type d’entreprise.
De plus, cette organisation pourrait s’accompagner d’une gestion locale, comme cela a été le cas un temps. Les préfectures seraient le niveau de prise de décision permettant la prise en compte du niveau de risque sanitaire local.
Ainsi, plutôt que de fermer tous les établissements sans discernement, il serait possible d’autoriser l’exploitation en fonction à la fois de ce niveau de risque sanitaire local, mais aussi du niveau de gestion des risques de chaque établissement.
Les établissements sont prêts
Car les établissements prennent les choses en main depuis le mois de Mars. Ils sont aujourd’hui capables de mettre en œuvre et d’adapter en urgence des mesures organisationnelles, techniques et humaines pour répondre à l’évolution de la situation sanitaire :
Parmi les mesures organisationnelles :
- Protocoles sanitaires répondant à la nécessité de prévenir et de réagir
- Entrées et sorties régulées par le personnel pour limiter les effectifs dans les espaces et notamment dans les salles
- Créneaux d’ouverture au public permettant l’aération, le nettoyage et la désinfection des espaces
- Services en ligne de renseignements, de précommande ou de réservation pour éviter tout regroupement ou file d’attente
- Traçabilité de passage dans l’établissement dans le respect des données personnelles et de la vie privée
Des mesures techniques visant à :
- Limiter les contacts (écrans et autres plexiglas, marquage au sol de la distanciation à respecter, supports d’information numérique plutôt que physiques)
- Séparer les flux et éviter les croisements (matérialisation de sens de circulation)
- Assainir les espaces en couplant un nettoyage classique à une désinfection par des procédés virucides
Enfin des actions et non des moindres sur leurs ressources humaines :
- Adaptation de l’effectif permettant la gestion des flux et l’accueil du public en sécurité
- Formation du personnel à l’accueil du public en sécurité, à l’utilisation correcte des EPI et au comportement à adopter dès les premiers symptômes ou à la prise en charge d’un cas COVID-19.
Ainsi certains syndicats professionnels ont proposé à leurs adhérents des outils pour les aider à préparer leurs protocoles sanitaires.
Financer plus massivement les réouvertures
En déléguant la sécurité des personnes aux établissements, une partie des aides financières ne servirait donc plus à tenir à bout de bras des entreprises fermées, parfois condamnées d’avance, mais pourrait soutenir les mesures de prévention, d’investissement dans des solutions techniques, de formation du personnel et de contrôle ou de labellisation des établissements. Il parait donc indispensable d’accompagner cette réouverture des établissements « non essentiels » devenue maintenant inéluctable.
Nous sommes conscients que cela n’est pas sans soulever plusieurs difficultés. Premièrement, est-ce que les enjeux économiques ne prendront pas le pas sur les enjeux sanitaires ? Probablement, mais c’est aussi dans la tension entre de ces enjeux contradictoires que peuvent naitre des solutions nouvelles. De plus, si chaque région et chaque secteur économique appliquent des règles différentes, n’est-ce pas trop compliqué ?
Accepter la complexité pour avoir d’autres choix
Difficile de répondre à cette question. Mais faisons l’hypothèse qu’il sera impossible de tenir encore longtemps la position du « tout ou rien ». Il apparait donc de plus en plus urgent de revenir à une logique qui prenne mieux en compte la capacité des entreprises et des leurs représentants à se responsabiliser et s’organiser.
Parce que paradoxalement, poser le problème de façon univoque rend aussi les choix politiques impossibles. Toute vision univoque place le décideur face à une contradiction insoluble : ouvrir en sachant qu’on augmente le nombre de décès ou fermer, sauver des vies mais détruire des entreprises et du lien social.
En revanche, accepter la possibilité de solutions à la fois locales et sectorielles, c’est remettre de la complexité dans la gestion de cette crise, certes. Mais cette complexité redonne des marges de manœuvre aux décideurs de tous bords. La question ne pourra pas toujours être ouvert ou fermé, sauver des vies ou sauver des emplois. A un moment, nous n’aurons plus d’autre choix que de nous demander comment : quels compromis doit-on trouver localement et par secteur pour permettre à chacune de ces entreprises de travailler en limitant le plus possible les risques de contamination ?
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